Depuis le 7 octobre, la tension est palpable entre Bruxelles et Varsovie. Le tribunal constitutionnel polonais conteste les articles 1er et 19 du traité sur l’Union européenne (UE), les jugeant « incompatibles » avec ses règles constitutionnelles nationales. Le principe fondamental de la primauté du droit européen semble remis en cause, et toute l’Union s’en trouve concernée.
Quelques rappels historiques
Le 1er mai 2004, la Pologne a rejoint l’Union européenne par un référendum national avec un taux de 77,4% de réponses favorables. Mais depuis 2015 leur relation s’est détériorée. Depuis cette année-là, le parti conservateur et eurosceptique « Droit et justice » (PiS) est de retour à la tête de la nation, et s’oppose occasionnellement aux décisions des 27. Avec d’autres pays d’Europe de l’Est, il a refusé l’accueil des migrants en 2015, et s’est opposé, plus récemment, à l’égalité des droits revendiquée par les personnes LGBTQIA+. En 2017, L’UE avait même déclenché la procédure de l’article 7 de son traité. Il s’agit d’une procédure radicale, prévue au cas où un État membre enfreindrait les règles européennes. C’était alors la première fois de l’Histoire que cette procédure était enclenchée. En 2021, à la suite d’une escalade de plusieurs mois, l’Union semble être sur le point de la lancer à nouveau.
2021, année de tensions entre Bruxelles et Varsovie
Le 15 juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé non conforme à ses lois la réforme judiciaire polonaise visant à constituer un nouveau système de sanctions disciplinaires contre ses juges. Cette réforme rend notamment la Justice de plus en plus dépendante du contrôle politique. La Commission européenne a alors déclenché la procédure de l’article 7 et a menacé de bloquer les fonds du plan de relance économique européen anti-Covid 19 à destination de la Pologne, qui s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Mais la situation semble s’envenimer : le 7 octobre 2021, la présidente de la Cour constitutionnelle polonaise, Julia Przylebska a affirmé que plusieurs articles du traité de l’UE étaient « incompatibles » avec la Constitution polonaise, en ajoutant que les institutions européennes « agissent au-delà de leurs champs de compétence ». Le droit européen n’aurait-il finalement pas la primauté sur les Constitutions des États membres ?
Militant en faveur des droits de l’homme et juriste polonais, Adam Bodnar affirme que l’UE doit réagir vite, car le PiS « marginalise le rôle du parlement, a soumis en grande partie la Cour constitutionnelle, le parquet, les médias publics, ainsi que certaines institutions judiciaires ». Il craint que la Pologne tende par certains aspects à devenir un pays « non démocratique ».
Un Polexit ?
D’aucuns disent, comme l’avocat Jakub Jaraczewski, qu’il s’agit, de facto, d’un « Polexit juridique ». En effet, comme la Pologne pourrait-elle encore faire partie de l’UE si elle ne reconnaît plus le droit européen ?
Néanmoins, à la suite des centaines de manifestations qui ont eu lieu à travers le pays, et de la publication de sondages où plus de 80% de la population se prononce en faveur de l’Union, Jaroslaw Kaczynski, à la tête du Pis, a réitéré la volonté de la Pologne de demeurer État-membre tout en mettant un terme aux « ingérences » de l’UE. Il faut en effet souligner qu’à l’inverse du Brexit du Royaume-Uni, la Pologne ne cherche pas à mettre un terme à sa relation avec les 27. Elle questionne en revanche la primauté du droit européen sur les Constitutions nationales.
Une séparation entre Varsovie et Bruxelles serait d’ailleurs peu stratégique : depuis 2015, la Pologne expérimente un « miracle » économique, en partie dû aux fonds européens, à l’ouverture économique du pays, et à la libre circulation de la main d’œuvre et des capitaux, au point de devenir l’une des principales usines d’Europe. C’est une des économies émergentes et prometteuses dont l’UE aurait du mal à se passer.
Les moyens d’action de l’UE
Cette dissension entre Bruxelles et Varsovie révèle une faille de l’UE : il n’existe pas de constitution européenne, qui pourrait justifier la primauté du droit européen. Pour ne pas être affaiblie sur la scène internationale, l’UE doit donc réagir rapidement.
Une démarche économique est envisageable : Bruxelles tente depuis quelques temps de faire dépendre le versement des fonds européens du respect de l’État de droit. Bloquer la somme promise par le plan de relance européen, ou les fonds structurels destinés aux régions pourrait raisonner Varsovie… ou provoquer la colère des Polonais.
Une démarche juridique est également plausible, en déclenchant à nouveau l’article 7 du traité sur l’UE. Il permettrait de suspendre certains droits de la Pologne, au sein de l’Union.
Quelle que soit la décision finale, tout laisse à penser que le bras de fer entre Bruxelles et Varsovie est loin d’être terminé.
Crédit photo : Silar, Wikimedia commons, no change made, Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0
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