Depuis une semaine, les tensions sont exacerbées aux Antilles françaises, en Martinique et en Guadeloupe. L’obligation vaccinale des soignants a été l’élément déclencheur d’une succession de revendications et de démonstrations de colère envers le gouvernement, qui tendent à aller vers la violence.
À l’origine de la grève
La Guadeloupe et la Martinique sont deux îles distantes de 120 km l’une de l’autre. La première est peuplée de 380 000 habitants dont 33% étaient vaccinés au mois de novembre. Au même moment, la seconde, peuplée de 372 000 habitants, en comptait 34%. En métropole, le taux vaccinal a dépassé les 70%. L’obligation vaccinale s’étant appliquée à l’Hexagone, elle s’est aussi imposée aux DROM-COM.
Mais le personnel soignant guadeloupéen, démis de ses fonctions, comme en métropole, en cas de refus du vaccin, n’a pas supporté ces mesures interventionnistes, et, mi-novembre, a initié un mouvement de grève dont l’ampleur a fini par entraîner le personnel soignant martiniquais lundi 22 novembre. Ces grèves ont révélé les crises identitaires, sociales, et économiques qui touchent ces îles depuis plusieurs années ; les revendications des populations en grève se sont alors accrues.
Une crise peut en cacher une autre
Trois autres crises sont révélées par cette tension ascendante aux Antilles françaises.
Tout d’abord une crise identitaire. « On n’est pas considérés comme des français », estiment plusieurs Guadeloupéens. Pourtant, par leur histoire, les Français des Antilles ont montré leur attachement à la métropole. Mais aujourd’hui, ils ont l’impression d’être des Français marginaux : une vieille colère gronde, et l’on constate une défiance, si ce n’est un ressentiment envers le gouvernement. En effet, l’attitude de l’État, qui incite fortement les citoyens français à reprendre leur travail pour faire repartir l’activité économique, entre en contradiction avec les sanctions qui pèsent sur le personnel soignant non-vacciné.
Ces sanctions sont d’autant plus insupportables qu’une personne sur trois est au chômage en Guadeloupe. Cette crise sociale est accentuée par les difficultés matérielles subies par la population : l’accès à l’eau potable est ardu, et les coupures d’approvisionnement sont régulières. Le gouvernement s’entretient pourtant avec les élus locaux depuis plusieurs années pour trouver une solution à ce problème, mais aucune résolution significative n’a été prise jusque-là. La confiance en l’État central s’érode. Il en est de même à Mayotte, où l’on trouve difficilement de l’eau potable. La situation devenant de plus en plus pénible et des citoyens ont décidé de ne plus payer leurs factures. À ces problèmes sociaux s’ajoute enfin une crise économique.
Des violences qui paralysent l’économie
Depuis le début de la grève, la tension n’a cessé de croître, rappelant les grèves impressionnantes de 2009. Dans ces îles, des balles réelles sont tirées contre les pompiers et les policiers, des incendies sont provoqués délibérément dans des entrepôts, des magasins sont saccagés, des voitures, renversées, sont carbonisées, des barrages érigés aux endroits les plus stratégiques…
Pour calmer les échauffourées, la métropole a envoyé des corps armés issus du GIGN et du RAID. Leur intervention a été perçue de façon très négative, comme une attaque envers la liberté de peuples qui en connaissent pourtant le coût, par leur histoire.
Ces manifestations de mécontentement, initialement soutenues par tous les Guadeloupéens et les Martiniquais, commencent néanmoins à les étouffer. En effet, 80 % de ce qu’ils consomment est importé, de ce fait, un blocus est rapidement effectué : blocage du port, des hôpitaux, des routes qui donnent accès aux raffineries…
Un ministre des Outre-mer qui ne répond pas aux attentes de la population
Sébastien Lecornu s’est déplacé en Guadeloupe pour s’entretenir avec quelques syndicats. Sa visite, jugée plus que tardive, n’a duré que 24H et n’a pas entraîné la prise de décisions pérennes qui auraient pu satisfaire toutes les parties. Le ministre a néanmoins assuré que « le gouvernement est prêt à parler de l’autonomie de la Guadeloupe » puisque les élus « souhaitent moins d’égalité avec l’Hexagone, plus de liberté de décision par les décideurs locaux ». Quant à l’obligation vaccinale, déjà reportée au 31 décembre en Guadeloupe et en Martinique, elle ne sera pas supprimée.
Le ministre refuse également de poursuivre les débats avec les syndicats tant que ne seront pas condamnées les attaques perpétrées à l’encontre des forces de l’ordre. À la suite de son départ, le sénateur de la Guadeloupe Victorin Lurel a dénoncé « une posture martiale et autoritariste ».
Et maintenant ?
En Guadeloupe, plus de 120 interpellations ont été réalisées depuis le début de la crise. Des gendarmes et des membres du GIGN supplémentaires ont été envoyés sur place. Si la situation n’est toujours pas apaisée, la population a, quant à elle, les yeux rivés sur les négociations, et commence à se lasser du climat insurrectionnel ambiant. Le dialogue entre Lecornu et les représentants des deux îles va se poursuivre à distance, mais aucune concession ne sera faite en ce qui concerne l’obligation vaccinale car « les lois de la République ont vocation à s’appliquer » dans les Antilles françaises, martèle le ministre des Outre-mer.
Crédit photo : Unsplash
Comments