
Aymeric Lefebvre – 15/11/2024 – 7 min de lecture
La résolution du conflit israélo-palestinien : un parcours semé d’embûches
Alors que le conflit israélo-palestinien semble se maintenir à très haute intensité depuis les évènements du 7 octobre, retour sur une guerre aux implications géopolitiques majeures dont la résolution semble aujourd’hui utopique.
Un conflit qui s’inscrit dans un contexte historique tumultueux
À la suite de la Première Guerre mondiale et de la défaite de l’Empire ottoman, la Société des Nations (SDN) confie un mandat au Royaume-Uni sur la Palestine en 1920. Or, dès ses débuts, la Palestine mandataire fut le terrain de conflits de plus en plus violents entre Arabes et Juifs palestiniens, comme en témoignent entre 1936 et 1939 la grande révolte arabe ou encore l’attentat de l’hôtel King David perpétré le 22 juillet 1946 par l’organisation juive Irgoun (91 morts, 46 blessés). Les revendications nationalistes respectives n’ayant pu être conciliées, le Royaume-Uni délègue la gestion de la Palestine à l’ONU en février 1947, alors chargée de trouver une solution pour satisfaire les différents partis.
Le 29 novembre 1947 est votée la résolution 181 par l’Assemblée générale de l’ONU. Celle-ci prévoit une séparation de la Palestine en trois : un État juif, un État arabe et une zone sous contrôle international qui inclut Jérusalem et sa « proche banlieue ». À l’époque, cette décision est largement acceptée par les représentants de la communauté juive, mais est à l’inverse rejetée par quasiment tous les représentants de la population arabe, présageant ainsi des tensions futures. Sans attendre la mise en place du plan, David Ben Gourion (futur Premier ministre) proclame l’indépendance d’Israël le 14 mai 1948 à Tel-Aviv.

David Ben Gourion proclame l’indépendance d’Israël le 14 mai 1948
À la suite de cette décision, de nombreux États arabes, à savoir l’Égypte, la Jordanie, l’Irak, la Syrie, le Liban, l’Arabie Saoudite et le Yémen du Nord (ancêtre de la République du Yémen), entrent en guerre contre l’État hébreu, aussi nommée « guerre d’Indépendance » par les États arabes, qui dure du 15 mai 1948 au 7 janvier 1949. Leur attaque est cependant repoussée par l’État hébreu, qui récupère de nombreux territoires (Galilée, sud-ouest de la Samarie, ouest de la Judée et Néguev), provoquant l’exode de 720 000 Palestiniens, c’est la « Nakba » (c’est-à-dire la « catastrophe » ou le « désastre » en français, et dont le souvenir est toujours profondément inscrit dans les mémoires des Palestiniens).
Les conflits ouverts se poursuivent : la guerre des 6 jours éclate le 5 juin 1967. Celle-ci constitue une attaque préventive de l’État hébreu en raison du blocus de ses navires en mer Rouge, et qui permet cette fois à Israël d’occuper la péninsule du Sinaï et d’élargir son territoire sur la bande de Gaza, la Cisjordanie, le plateau du Golan et Jérusalem-Est. Cette guerre provoque l’exode de 500 000 Palestiniens et constitue les prémices de la colonisation qui est encore aujourd’hui régulièrement condamnée, car illégale selon le droit international.
Cette humiliation subie par les États arabes ouvre la voie à la guerre du Kippour de 1973, entre Israël d’un côté et l’Égypte et la Syrie de l’autre, dont les attaques seront refoulées, mais qui mène à des négociations au vu des pertes conséquentes dans les deux camps. Celles-ci aboutiront notamment à la signature des accords de Camp David en 1978 sous l’égide du président américain Jimmy Carter, entre le président égyptien Anouar el-Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin, qui seront suivis par la signature du premier traité de paix entre Israël et l'Égypte en 1979, à la suite duquel les Israéliens se retirent du Sinaï en échange de la reconnaissance égyptienne de l’État d’Israël.
Malgré ces avancées diplomatiques, la situation demeure alors erratique : le 9 décembre 1987 éclate la première Intifada (« soulèvement ») dans le camp de réfugiés palestinien de Jabalia, dans la bande de Gaza, qui ouvre la voie à de nombreuses émeutes. C’est dans ce contexte que le Hamas, qui revendique la création d’un État musulman sur la Palestine à travers le « djihad », apparaît.
En 1993, les accords d’Oslo semblent constituer un nouveau tournant, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin reconnaissant l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat comme représentant du peuple palestinien, avec la poignée de main symbolique entre les deux hommes qui n’était pas prévue dans le protocole, mais que le président américain Bill Clinton a su provoquer.

La poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat
Cependant, encore une fois, cet accord ne se concrétisera pas après l’assassinat de Rabin en 1995. Ce nouvel échec engendrera une nouvelle Intifada, entre 2000 et 2005, et un contrôle de la bande de Gaza par Israël, qui sera ensuite gérée par le Hamas à partir de 2007, à la place de l’OLP. C’est d’ailleurs à partir de la bande de Gaza que seront lancés les attentats du 7 octobre 2023, après une décennie marquée par des opérations militaires récurrentes.
Les évènements de 2023 : un tournant majeur
Le 7 octobre 2023, 1 205 civils israéliens ont perdu la vie après une incursion inédite des terroristes du Hamas marquée par des tirs de roquettes, des infiltrations terrestres et des prises d'otages sur le sol d’Israël. Malgré plusieurs signaux et documents, les services de renseignement n’ont pu que constater leur failles, et 97 otages sont encore à ce jour portés disparus. Les mois suivants ont ensuite été marqués par de nombreux évènements tragiques, comme l’invasion de la bande de Gaza par l’armée israélienne, ayant causé la mort d’environ 41 500 personnes au 23 septembre 2024, selon l’Office de coordination des affaires humanitaires des Nations unies, ou encore les échanges de tirs de missiles répétés avec l’Iran. Plus récemment, Tel-Aviv a également bombardé massivement le sud du Liban et de la Cisjordanie, avec la mort notable du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

L’ancien chef du Hezbollah Hassan Nasrallah (à gauche) avec le Guide de la Révolution (chef de l’État iranien) Ali Khamenei
Des conséquences régionales importantes
La mort de ce dernier provoque de grandes inquiétudes quant à la situation au Liban, le nombre de victimes se multipliant dans un pays déjà instable, et fait craindre une recrudescence des tensions, ce alors que l’Iran a déjà bombardé en riposte le 1er octobre des sites stratégiques israéliens, notamment les bases aériennes de Nevatim et de Tel-Nof. Le 29 septembre, le président du Parlement iranien Mohammad Baqer Qalibaf avait aussi exhorté les organes législatifs et les gouvernements des États musulmans à adopter une position « dissuasive » face à Israël pour empêcher de futures violations du droit international et des droits de l’homme, rappelant ainsi l’imbrication géopolitique et religieuse des conflits actuels au Proche-Orient.
Cette position « dissuasive » semble néanmoins difficile à mettre en place, notamment puisque l’État hébreu a remporté des succès tactiques, notamment avec l’explosion des « bipeurs » ayant blessé 2800 personnes et causé 9 morts parmi les membres du Hezbollah, qui a permis aux services de renseignement israéliens de redorer leur blason.
En plus du Liban, la situation en Cisjordanie semble également instable, Israël ayant évoqué l’idée le 31 octobre à travers la voix de son ministre des Finances Bezalel Smotrich de couper tout échange financier entre les banques israéliennes et les institutions palestiniennes. Concrètement, ces menaces se matérialiseraient par le non-renouvellement du bouclier juridique qui protège actuellement les banques israéliennes des éventuelles poursuites qu’elles encourraient si une partie de leurs fonds servaient à financer des entreprises ou des organisations que le gouvernement de Benjamin Netanyahou pourrait caractériser comme terroristes. Or, pour la Cisjordanie, une telle mesure provoquerait un effondrement économique, dans la mesure où le commerce avec Israël représente environ 75% de son Produit Intérieur Brut (PIB).
Malgré cet avantage économique, l’État hébreu souffre également de la guerre. En effet, en dépit d’une hausse significative de la Bourse de Tel-Aviv de 18% depuis le début de l’année, les finances israéliennes semblent dégradées. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le déficit budgétaire d’Israël devrait atteindre 8,5% du PIB en 2024, soit près de 2 fois plus qu’en 2023. Sa croissance devrait également être réduite, le FMI tablant sur une augmentation limitée à 0,7% du PIB. Cette situation s’explique par la hausse des dépenses qui s’élèvent à 27,6 milliards de $ selon le ministère des Finances israélien, et par la mobilisation des réservistes qui peut parfois durer plus de 100 jours par an due à un manque d’effectifs, ce qui affecte également les entreprises qui sont privées d’une partie de leurs salariés.
Vers une remise en cause du soutien occidental envers Israël ?
Les multiples frappes témoignent de la longue guerre menée par Israël sur plusieurs fronts et contribuent à remettre en cause le soutien inconditionnel envers l’État hébreu, même parmi ses alliés traditionnels. Trois membres de l’Union européenne (UE), À savoir l’Irlande, la Norvège, et l’Espagne, avaient déjà reconnu le 22 mai 2024 l'État de Palestine, en signe de protestation face aux incursions israéliennes dans la bande de Gaza. Plus récemment, dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 octobre, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a notamment qualifié une frappe israélienne d’« exemple clair du recours systématique à la force meurtrière par les forces de sécurité israéliennes en Cisjordanie, souvent inutile, disproportionné et donc illégal ». Le dimanche 6 octobre, le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ont également eu une conversation téléphonique tendue liée à des déclarations de M. Macron demandant un arrêt des livraisons d’armes à Israël, invoquant le retour nécessaire d’une solution « politique ».
L’État hébreu a été également largement condamné, y compris par ses alliés traditionnels, le 12 octobre 2024 après son attaque contre des infrastructures de la Force intérimaire des Nations Unies (Finul) dans le sud du Liban, dans laquelle plusieurs casques bleus ont été blessés.
Les raids israéliens réguliers dans la bande de Gaza ou au Liban embarrassent particulièrement les États-Unis, soutiens de la première heure de l’État hébreu, face aux nombreuses victimes civiles que causent les frappes. Le 30 octobre 2024, le porte-parole du Département américain, Matthew Miller, a notamment dénoncé des bombardements « horribles » arrivés plus tôt dans la journée, et ayant causé la mort de près de 100 personnes, dont 20 enfants, et affirmé que les États-Unis allaient « demander des explications » aux responsables israéliens.

Les conséquences des bombardements israéliens dans la bande de Gaza
Une résolution de la situation qui semble irréaliste à court terme
La situation au Proche-Orient paraît ainsi inextricable, la seule et unique trêve entre le Hamas et Israël ayant permis la libération de 105 otages israéliens contre 240 détenus palestiniens datant de plus de 10 mois et n’ayant duré qu’une semaine, entre le 24 novembre et le 1er décembre 2023.
De plus, tout laisse à penser que l'escalade entre Israël et l’Iran va se poursuivre : après que le chef d'état-major de l'armée israélienne, le général Herzi Halevi, a évoqué « la possibilité » d'une « entrée » de troupes sur le sol libanais, lors d'un exercice à la frontière, Tel-Aviv a effectivement confirmé que des troupes au sol avaient franchi la frontière le 1er octobre. Cette opération fait d’ailleurs écho au cuisant échec de l’intervention israélienne sur le territoire libanais en 2006, qui avait conduit à la mort de 119 soldats israéliens. L’histoire semble donc se répéter puisque cette guerre avait à l’époque fait émerger un héros arabe, l’ancien chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui avait incarné la résistance du Hezbollah face à Israël.
Si les bombardements israéliens semblent avoir atteint des objectifs notables avec l’élimination de personnalités importantes du Hezbollah (notamment Hachem Safieddine, cousin de Hassan Nasrallah, tué début octobre), il semble pour autant extrêmement improbable que la situation soit résolue par la voie militaire. Un mois après l’élimination de son leader historique, le Hezbollah, bien qu’affaibli, s’est doté d’un nouveau Secrétaire général, Naïm Qassem, comme pour montrer qu’il était bien déterminé à poursuivre sa lutte armée.

Naïm Qassem, nouveau chef du Hezbollah
La voie diplomatique semble être la seule à pouvoir résoudre la situation à long terme, notamment avec la solution à deux États. Cependant, comme l’a rappelé le secrétaire général des Nations unies António Guterres le 23 janvier 2024 : « au cours des deux dernières décennies, la solution à deux États a été critiquée, dénigrée, et laissée pour morte à maintes reprises. Cependant, elle reste le seul moyen de parvenir à une paix durable et équitable - en Israël, en Palestine et dans la région tout entière. »
Cette solution à deux États paraît néanmoins aujourd’hui largement hypothétique. Les autorités israéliennes semblent en effet s’opposer à toute résolution internationale, ayant par exemple voté le 28 octobre l’interdiction de toute activité de l’agence des Nations Unies chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA) sous 90 jours, et ce sur l’ensemble du territoire israélien. À l’inverse, l’ONU semble rencontrer des difficultés à imposer des sanctions crédibles, comme en a témoigné la difficulté à statuer sur le mandat d’arrêt émis contre Benjamin Netanyahou et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Celui-ci a finalement été validé ce jeudi 21 novembre après plus de 6 mois de négociations. Plus généralement, les différents partis ne semblent pas chercher la paix. D’un côté, Israël invoque pour chaque opération militaire le « droit fondamental » d’Israël de se défendre, tandis que, de l’autre côté, le Hezbollah et l’Iran continuent de nourrir des propos agressifs qui sont nourris par les humiliations subies sur le plan militaire. Or, tant que ces positions idéologiques antagonistes se maintiendront et que la voie militaire sera présentée comme la seule solution, les négociations resteront immanquablement au point mort.
L’élection récente de Donald Trump pourrait également conforter Benjamin Netanyahou dans son idée de maintenir une guerre de haute intensité s’il était certain du soutien inconditionnel américain, l’ancien président des États-Unis étant connu pour ses prises de position pro-israéliennes.
Crédits photos: Wikimedia Commons, no change made, Creative Commons License.
Bibliographie :
Le Monde, Frappes de l’Iran : comment plusieurs sites stratégiques israéliens ont été touchés (youtube.com)
Entre Emmanuel Macron et Benyamin Nétanyahou, un week-end d’échanges tendus sur la situation au Proche-Orient (lemonde.fr)
Dans l’unité des grands brûlés de l’hôpital Geitaoui de Beyrouth : « La guerre va être longue, on ne sera pas capables de continuer sans aide » (lemonde.fr)
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