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La géopolitique du sport

Arthur Ternoy

Dernière mise à jour : 22 févr.



PARTIE I :

 

A l’origine des Jeux Olympiques:

 

Au VIIIème siècle, dans les plaines de l’Elide, sous les ordres d’Iphitos, les Jeux Olympiques (JO) voient le jour. Pendant plus de 12 siècles, les plus éminents sportifs venus de toute part du bassin méditérranéen se retrouvaient dans des épreuves variées afin d'apporter la gloire à la région dont ils étaient les représentants. Du pancrace (sport de combat) à la course à pied, en passant par les sports hippiques, des sportifs aux compétences très diverses venaient rendre hommage aux dieux et offrir un spectacle toujours plus grandiose à un public croissant.


S’ils sont souvent perçus comme un simple divertissement, les JO possèdent pourtant un poids géopolitique et historique très important. Il ne s’agit pas d’une simple compétition sportive sans conséquences. Ils sont toujours ancrés dans un contexte géopolitique fort. Entre source de tensions et moments de paix, ils ont joué un rôle non négligeable dans certains conflits de l’histoire et sont toujours liés à des rapports de force, même aujourd’hui.

 

Trêve olympique et guerre du Péloponnèse

 

Quelques siècles après l’instauration des jeux, le monde Grec est traversé par une fracture sans précédent : C’est la Guerre du Péloponnèse. Inquiétée par la croissance fulgurante de l’influence de la Ligue de Délos et d’Athènes, Sparte se lance dans un conflit armé dont l’objectif est la domination sur la mer Egée. La région d’Elide, bien que sous influence Spartiate, est située entre les deux territoires, et tente donc d’obtenir un statut plus neutre et indépendant. Tout au long de la guerre du Péloponnèse, les différents États habitués à participer bénéficie d’un principe de trêve sacrée : c’est l’Écéchiria (en grec ancien Ἐκεχειρία). Afin d’avoir le droit de participer aux jeux, les Etats se doivent de l’accepter et la respecter. Ici, on peut donc voir que les JO ont un rôle globalement fédérateur, bien que cette trêve ne soit appliquée que localement en Elide. Personnifiée par un Dieu, elle devient un principe très respecté à cette période.


Néanmoins, en temps de guerre, les concepts de paix souffrent souvent d’infraction. Sparte la viole par exemple en 420 av J.-C. en attaquant le fort de Phyrkos (situé en Elide) et est, par conséquent, interdit de participation aux jeux et doit payer une amende de 2000 mines. De même, cette trêve se voit parfois instrumentalisée, notamment par les Argiens qui la brandissent même lorsqu’elle n’est pas en vigueur afin d’éviter de perdre certains conflits face à Sparte.


Les JO ont surtout dès cette période un rôle de conflit d’influence. Sparte et Athènes rivalisent et tentent tous deux d’avoir plus de sportifs victorieux que l’autre afin d’imposer une hégémonie de l’influence à travers le sport.

 

Les Jeux Olympiques comme marqueur des luttes d’influence religieuse

 

Plusieurs siècles plus tard, la montée du christianisme bouleverse tout le monde romain. L’influence progressive de cette religion s’observe très facilement avec l’abandon progressif de certaines traditions païennes. C’est donc sous les conseils de l’évêque Ambroise de Milan que l'empereur Théodose 1er interdit les JO en 393-394. Les Jeux tombent alors dans l’oubli pendant presque 1500 ans. Il faut en effet attendre la fin du XVIIIe siècle, époque à laquelle on découvre les ruines des sites d’Olympie, pour voir la tradition peu à peu revenir. Marqueur à nouveau d’un progressif changement d’époque religieuse, les JO voient à nouveau le jour à une période où le christiannisme perd de sa prégnance. En effet, c’est à la fin du siècle des Lumières que les premières initiatives voient le jour, avec notamment les Olympiades de la République entre 1796 et 1798.

 

L’ère de la rénovation

 

Après des débuts difficiles et relativement locaux, le contexte géopolitique en Europe pousse les puissances actuelles à réinstaurer les JO. On peut distinguer 3 événements qui, les uns après les autres, ont rendu favorable le retour des JO :

  • Les fouilles archéologiques allemandes menées par Ernst Curtius sur le site d’Olympie, qui permirent de renouer avec les origines antiques des Jeux.

  • Les défaites militaires grecques contre les Turcs en 1897 et françaises contre les Allemands en 1870. Après ces échecs, les gouvernements décident de remettre au centre de leur éducation le sport, comme élévation de l’esprit et du corps.

  • Les actions de Pierre de Coubertin ont également été déterminantes, si bien qu’il est considéré comme le rénovateur des Jeux Olympiques modernes.

 

On observe donc que les JO sont intrinsèquement liés aux rapports de forces entre les entités qui y participent : c’est à cause d’un contexte géopolitique et des luttes d’influences religieuses qu’ils avaient disparu, et c’est du fait d’un contexte géopolitique et des luttes d’influences nationales qu’ils sont rénovés.


Ainsi, en 1894, grâce à son “Congrès pour le rétablissement des Jeux Olympiques” à la Sorbonne, Pierre de Coubertin donne naissance aux Jeux Olympiques modernes, basés sur le dépassement de soi et le fair-play, notion inspirée des règles des jeux antiques.

 

Après la première édition à Athènes en 1896, les JO évoluent grandement et rapidement. Dans les changement majeurs, on peut évoquer la première participation de femmes à Paris en 1900 et également la première participation d’un athlète noir (d’origine haïtienne) cette même année. Les premiers sports hivernaux apparaissent finalement en 1924 (avec le patinage artistique et le hockey).

 

Les Jeux Olympiques Modernes dans un monde toujours plus fracturé

 

Si les Jeux Olympiques Modernes s’inspirent énormément des Jeux Antiques, ils rendent néanmoins le principe de trêve olympique obsolète. Les 6ème (Berlin, 1916), 12ème (Tokyo puis Helsinki, 1940) et 13ème (Londres, 1944) éditions sont annulés du fait des terribles affrontements qui séparent le monde en 2.


Si ces éditions témoignent d’une impossible réconciliation temporaire et d’un changement total de régime militaire, les éditions les plus intéressantes restent celles de 1936, de 1952 et plus généralement certaines éditions au cours de la Guerre Froide.

 

JO et Guerres Mondiales

 

Les JO de 1912 sont assez classiques dans leur déroulement, et ne font qu'accroître les rivalités déjà extrêmement fortes entre la France et l’Allemagne. Cette année, les Etats-Unis officialisent également leur toute jeune supériorité sportive et commencent à s’affirmer comme la première puissance mondiale, en remportant le plus de médaille cette année et en utilisant les JO pour la première fois comme un tremplin pour répandre leur American Way of Life (Manière de vivre à l’Américaine).


Après la Première Guerre mondiale, les Allemands ont interdiction de participer aux éditions de 1920 et 1924 (ils sont également bannis de celle de 1948). Finalement, le Comité International Olympique (CIO) confie en 1931 à Berlin l’organisation des jeux de 1936. Cette décision commenceà être remise en cause lorsque le régime nazi est instauré en 1933 et certains pays appellent au boycott, allant même jusqu’à organiser des Olympiades populaires à Barcelon. Malheureusement, ceux-ci n’auront pas lieu car la guerre d’Espagne éclate la veille.


Les tensions sans précédent qui traversent l’Europe transforment très rapidement les jeux de 1936 en des luttes d’influence géopolitiques. Ces JO marquent l’explosion de la propagande, principalement du côté allemand, avec un documentaire, Les Dieux du Stade, et une volonté de promouvoir le "blanchiment par le sport”. On observe une véritable guerre idéologique, avec une Allemagne qui ressort la plus médaillée (89 médailles dont 33 d’or), devant les Etats-Unis (56 médailles dont 24 d’or). Du côté allemand, on loue le gymnaste Konrad Frey et ses 6 médailles (dont 3 d’or), lorsque du côté américain, l’athlète noir Jesse Owens devient un véritable symbôle en remportant 4 médailles d’or. Ces JO sont aussi l’occasion pour Adolf Hitler de se présenter comme pacifiste et de rassurer l’Europe, que ce soit à travers ses discours ou ses actions. Il obtient également le soutien de Coubertin, lui conférant une autorité supplémentaire.

 

Sport et lutte idéologique sous la Guerre Froide

 

L’après-guerre est marqué par un rapport de force particulier qualifiée en géopolitique de “bipolaire”. Au cours de cette période, les sports ont un rôle central dans la propagande des deux blocs. On pense souvent au film Rocky IV dans lequel le boxeur triomphe de son adversaire russe, dont l'entraînement consiste en des dopages et l’utilisation de nouvelles technologies, faisant de lui une véritable machine de combat capable de tuer son adversaire au combat. Un autre exemple récurrent de cette importance est la Diplomatie du Ping-Pong, une doctrine américaine qui témoigne du renouveau diplomatique liant les Etats-Unis et la Chine à travers le sport de raquette.


Dans ce contexte très particulier, les JO gardent un rôle central dans les rapports de force.


En 1956, au moment de la Crise de Suez et de l’occupation de Budapest et d’une partie de la Hongrie par les chars du pacte de Varsovie, la finale de water-polo, opposant les soviétiques aux hongrois, se transforme en bas de sang, se concluant par la blessure d’un joueur hongrois. Ces Jeux sont ceux du boycott, puisque de la Suisse à la Chine, en passant par l’Egypte, une petite dizaine de pays décident de ne pas y participer ou de les quitter.


En 1972, à Munich, le groupuscule pro-palestinien Septembre Noir prend en otage 9 athlètes israëliens. Cet acte politique témoigne d’une pregnance particulière du conflit israëlo-palestinien à cette époque, et aura des conséquences particulières. Se concluant par la mort de 17 personnes, cet acte terroriste est encore aujourd’hui considéré comme le premier acte de terrorisme international ayant un retentissement important dans les médias.


En 1980, les Etats-Unis appellent à boycotter les Jeux de Moscou pour condamner l’invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique. Au même moment, une révolte ouvrière polonaise est réprimée, ce qui amène le perchiste Wladyslaw Kozakiewicz à faire un bras d’honneur au public lors de sa victoire face au favori russe, en signe de contestation.


Enfin, les Jeux de Los Angeles, en 1984, annoncent, d’une certaine manière, la victoire du bloc de l’Ouest dans la Guerre Froide avec un record de participations (140 pays) malgré l’appel au boycott de l’URSS. Marque de l’affaiblissement de l’idéologie politique, ces Jeux sont comme une prévision de la chute du bloc qui adviendra quelques années après.

 

Les Jeux dans l’univers géopolitique complexe d’aujourd’hui

 

La complexité du monde actuel et les enjeux géopolitiques continuent à s’observer par les Jeux aujourd’hui. L’apolitisme feind par les organisateurs ne sont en réalité qu’une façade, tant l’attribution de l’organisation de Jeux, l’autorisation de participer ou encore les appels au boycott jouent un rôle majeur dans les rapports de force actuels. Pascal Boniface le souligne dans JO politiques, non seulement les Jeux ne sont pas apolitiques, mais ils jouent même un rôle très important vis-à-vis du soft power et des contestations. Les événements récents le témoignent. Reporters Sans Frontières mène par exemple un mouvement pour appeler au boycott des JO de Pékin en 2008. L’objectif est de mettre en lumière le bafouement des droits de l’homme en RPC. Plus récemment, les JO de Sotchi (Russie), en 2014, sont une source sans fin de polémiques : entre lois homophobes, dopage et tensions en Ukraine, les JO font beaucoup parler géopolitiquement. En effet, avant même que les jeux se terminent, l'État Russe commence à occuper le territoire de Crimée et commence son annexion. Avec les actions russes récentes en Ukraine, la participation du pays aux prochains Jeux est questionnée par certains acteurs. Ainsi, pour avoir “brisé la trêve olympique”, la Russie est notamment exclue des Jeux Paralympiques de 2022 et de la Coupe du Monde.

 

Ainsi, depuis leur création, les JO sont à la fois source et conséquence de contextes géopolitiques et de rapports de force.

 

Ce rôle majeur, associé à l’importance culturelle du phénomène, a également un impact sur la culture, et pousse à des initiatives plus locales…

 

PARTIE II :

 

C’est dans cette optique d’impact culturelle locale, que nous sommes allés à la rencontre de Thibaud Lecomte, le président de l’association Organisation des Jeux Omnisports de l’EDHEC. 

 

Bonjour Thibaud, peux-tu nous présenter les OJO en quelques mots ?

 

Hello !

 

Les Jeux Omnisports (plus couramment appelés OJO) sont nés du constat, il y a maintenant 10 ans, qu’il manquait un évènement réunissant les étudiants issus des meilleures écoles de commerces autour d’une compétition multi-sportives. De là, est née l’idée de réunir les 6, puis les 7, meilleures écoles de commerce pour 3 jours de célébration, entre sports et fêtes.


Rassemblant aujourd’hui 17 disciplines, les OJO sont l’occasion de mettre en valeur des sports en lumières tels que l'escrime, le waterpolo, le squash, en plus de ceux traditionnellements représentés lors de compétitions sportives, comme le football, le rugby, ou encore le volleyball, pour ne citer qu’eux.


Enfin, la compétition des OJO s’articule autour de 3 trophées : celui du sport, de l’ambiance et du fair play. Pour l’édition 2022 qui a vu s’affronter presque 2000 étudiants, l’ESSEC a gagné le trophée du fair-play, l’EM Lyon celui de l’ambiance et l’EDHEC le trophée du sport.

 

Quelles sont les valeurs que vous représentez avec cet événement ?

 

Les OJO sont l’occasion de faire la promotion de différentes valeurs. Si le sport et les festivités sont au cœur de notre événement, nous sommes aussi soucieux de sensibiliser les étudiants aux thématiques du handicap et du développement durable. Nous considérons ainsi le sport comme un outil pédagogique qui contribue à faire évoluer les mentalités sur ces sujets. Le sport permet à chacun de se dépasser et de s’épanouir. La Course Ojoëlettes By Renault, qui donne la possibilité à 7 enfants en situation de handicap de découvrir la course en participant à un cross de 5 kilomètres, en est un exemple. 


Aussi, la mise en valeur chaque année d’un handisport, le handi hockey en 2022, permet à chacun d’appréhender la pratique du sport sous des aspects peu connus.

 

Penses-tu que les OJO peuvent avoir un impact sur les “rapports de force” entre les 7 écoles participantes ?

 

Après 2 annulations consécutives, il était difficile de prédire l’impact des OJO sur les “rapports de force” entre les 7 écoles. Après-coup il apparaît tout d’abord, que les OJO sont la seule occasion pour les différentes écoles de se rencontrer autour de compétitions sportives, mais aussi en termes d’ambiance. A titre général, je ne pense pas que les OJO puissent avoir un impact global sur les rapports de forces entre les différentes écoles, mais cependant il n’est pas à négliger la représentation que chaque école donne en venant aux OJO : l’ambiance, l’organisation et la professionnalisation des étudiants se donnent aux yeux de tous. De fait, si une délégation sort du lot, cela impact nécessairement positivement l’image de l’école que peuvent avoir les autres participants.

 

Qu’as-tu pensé de la neuvième édition des OJO ? 

 

La 9ème édition des OJO était très spéciale : c’était celle du retour après 2 annulations consécutives, mais aussi la découverte pour chacun d’entre nous d’un événement que nous n’avions jamais connu, organisateurs comme participants.


Quelques jours après la fin du week-end, le bilan est plus que positif : les OJO ont effectué une renaissance spectaculaire, entre compéition sportive acharnée et surtout respect de tous. L’ambiance apportée par les délégations était incroyable, et s’est faite dans un esprit de respect entre les différentes écoles, ce qui a sublimé l’engagement de chacun. 


Aussi, les deux soirées, d’exibhition sportive le samedi, à travers les “OJO All Star” et festive le dimanche, avec la “3ème-mi temps” ont permis de donner une dimension spectaculaire et festive aux OJO. 

 

Plus de 2 ans après la dernière édition des OJO, je suis donc fier que toute l’association ait pu permettre un retour qui s’annonçait compliqué, et d’en faire une réussite !

 

Conclusion

 

Ainsi, à travers cette initiative, on observe que cet événement traduit la survie de l’esprit des Jeux instaurés à l’époque de la rénovation. Malgré des “rapports de forces” et des “jeux d’influence” entre les 7 écoles, c’est le Fair-Play qui domine. A travers des initiatives locales comme celle-ci, l’esprit Coubertin et la volonté de faire du sport une pratique noble de dépassement de soi perdurent.

 

 

 

 
 
 

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